Au THV, un Woyzeck victime et coupable

Saint-Barthélemy-d'Anjou - 31 Mars 2014


 

Vu

Quand l'obscurité se fait dans la salle, le décor à vue qu'ont découvert les spectateurs vendredi soir au Théâtre de l'Hôtel de ville (THV), s'anime en jeux de lumière et en musique. Dans la zone centrale, sorte de piste de cirque, translucide, se joue en images le meurtre de Marie par Woyzeck, soldat de son métier. Un bonimenteur survient, invite à entrer dans un spectacle dont les protagonistes ont tous quelque chose d'animal comme « le cheval astronomique », bête de foire. La mort annoncée de Marie clôturera cette foire humaine dont Woyzeck est, au bout du compte, le bouc émissaire.

Le quotidien de Woyzeck se joue en périphérie de scène. Il est l'ordonnance d'un capitaine qui le morigène : « ne cours pas Woyzeck ! ». Il court pourtant, il court comme on le fait dans un cauchemar, en s'enlisant dans la réalité qu'il veut fuir. Et qui le rattrape sous les traits du « docteur » qui le traite en animal de laboratoire, et dans la personne du tambour-major le trompant sans vergogne avec Marie... Woyzeck va basculer dans la folie et, c'est écrit, il égorgera Marie.

La pièce laissée inachevée par son auteur Georg Büchner, mort en 1837 à 24 ans, a fait l'objet de très nombreuses mises en scène. Celle de François Parmentier s'exprime dans une grande beauté formelle, en conjuguant la distanciation contemporaine et l'expressionnisme à l'allemande. Quant aux comédiens, ils incarnent, avec sensibilité et justesse, les personnages de cette humanité dérisoire et souffrante, montée sur le manège des illusions perdues. Tournez manège...


 




[CRITIQUE] « L’INATTENDU », DE FABRICE MELQUIOT / FRANÇOIS PARMENTIER

21 janvier 2015 Par Matthias Turcaud

Seul en scène percutant sur l’absence, L’Inattendu est aussi un spectacle hybride – mêlant théâtre, musique et vidéo -, et que l’on peut découvrir en ce moment sur la scène de l’Espace Jemmapes dans le 10ème. 




Note de la rédaction : ★★★★

Dans les bayous de la Louisiane, Liane tente de rendre supportable l’absence de celui qu’elle aime, un Noir victime du racisme ambiant – dans la rue on lui lançait par exemple que sa mère « suçait des singes », se souvient-elle péniblement, et lui s’efforçait d’encaisser le coup, avec difficulté.

Pour cicatriser la douleur de l’absence et celle liée à l’incertitude dans laquelle elle se trouve – ne sachant trop si celui qu’elle appelle « son petit chou, son tigre » est encore en vie ou non -, Liane s’accroche à des souvenirs agréables, doux, des souvenirs de nuits d’amour qui s’éternisent et d’hamacs qui s’effilochent. Elle égrène ses souvenirs au gré de couleurs spécifiques – bleu de prusse, rouge saturne ou vert bouteille.

Face à la dureté, et à la violence inhumaines de certains contextes et de certaines situations, il reste toujours quelques échappatoires : l’amour, la poésie, le rêve, l’imagination … Melquiot, à qui on doit ce texte, l’avait déjà prouvé magistralement dans sa pièce Le Diable en Partage (2002, L’Arche Editeur) sur la guerre en Yougoslavie.

Les mots de Melquiot, la comédienne Claudine Bonhommeau leur rend bien justice en leur donnant chair et intensité, une intensité que décuple encore la remarquable partition musicale du batteur-percussionniste Franck Thomelet et du guitariste Mathieu Pichon, qui va bien au-delà d’un simple accompagnement et fusionne avec les mots de l’auteur, la performance de la comédienne ainsi qu’une utilisation sporadique de vidéos projetées sur le mur de fond, s’il ne sert pas comme élément de décor à suggérer des persiennes à peine entrouvertes et la chaleur étouffante de la Louisiane. A découvrir !

 Crédits photos : Stanis Paysant

L’Inattendu, texte de Fabrice Melquiot, mise en scène de François Parmentier, à l’Espace Jemmapes, au 116 quai Jemmapes (dans le 10ème).

 

Véronique ESCOLANO.

Avec sa compagnie des Aphoristes, le Nantais François Parmentier monte Bluff, une pièce de 2012, d'Enzo Cormann.

Bluff se compose de trois saynètes sur le mensonge. La première, autour d'une immigrée qui devient esclave domestique, confrontée à un couple en manque de communication, la deuxième sur un joueur de poker, sa femme et sa fille. La troisième sur une jeune actrice, prête à tout pour le rôle de sa vie.

À trois comédiens, Bluff est un trois fois trente-trois minutes sur le mensonge, mensonges aux autres, à soi, la vérité que l'on s'invente, la vérité que l'on se cache. Un vaste nuancier de petits arrangements avec les autres et soi-même. Et la vérité si je mens, on en sort en se disant spontanément, c'était bien. Immédiatement bien, avec le sentiment d'avoir passé un bon moment, d'avoir vu du bon théâtre. Spontanément bien, sans post-tergiversation et interprétation. Peut-être aussi car la pièce était commandée pour un public d'adolescents. Une histoire - ou trois - qui vous tient et ne vous lâche pas.

François Parmentier en signe une mise en scène simple et intime à trois comédiens. Il restitue le texte dans une mise en scène, fluide, souple, aérée, rythmée, très cinématographique et magnifiquement bien jouée. Claudine Bonhommeau est étonnante et Nicolas Sansier est absolument remarquable. Comme un poisson dans l'eau et dorade royale dans la deuxième saynète.

Un vrai beau travail sans bluff, ni esbroufe, présenté au théâtre de la Gobinière, mardi. C'était à ce jour, hélas, l'unique représentation d'une pièce qu'on ne devrait toutefois pas tarder à revoir à Nantes.


 

 


Plus loin que loin, une tragédie moderne et efficace                     

6 février 2017 par Morgan                                 evous


Après avoir suscité l’adhésion du public de l’Onyx à Nantes, les Aphoristes présentent leur dernière création, Plus Loin que loin, à l’Athena d’Auray, le 7 février à 20h30.

Quand le temps se mesure en mariages et en enterrements, quand la terre entière est nommée le « Monde du D’hors », quand l’arrivée d’un bateau est espérée tous les jours avec autant d’angoisse que d’espoirs, c’est que vous avez posé le pied sur une île, une île éloignée et sauvage, hors de tout, Plus Loin que loin parce que hors du temps comme de l’espace.

Cette île imaginée par la dramaturge britannique Zinnie Harris et inspirée par la très réelle Tristan da Cunha, est la scène d’un drame fascinant aux accents de tragédie moderne, une histoire de réfugiés climatiques, de mensonge d’Etat, de secrets de famille et de manipulation.


Tout commence avec le retour du jeune Francis sur l’île après un long voyage au Cap. Son oncle, Bill, et surtout sa tante Mill l’accueillent à bras ouverts, mais Francis ne vient pas seul : il apporte avec lui Monsieur Hansen, un chef d’entreprise qui prétend implanter bientôt sur l’île une conserverie. Un événement imprévu fait fuir sa centaine d’habitants par le premier bateau, direction l’Angleterre, le travail à l’usine et la solitude du réfugié.

L’isolement est au cœur de cette pièce adaptée avec brio par la compagnie Les Aphoristes, un isolement qui sert de moteur à l’intrigue, de fil rouge à la mise en scène et de compas à la langue. La grammaire et la syntaxe des îliens escamotent des pronoms comme autant d’écueils, conjuguent le futur au présent telle une voile toujours gonflée, ignorent les adjectifs comme autant de sirènes, c’est une langue d’insulaire dont la vie est rythmée par les trop rares liaisons maritimes, une langue qui raccourcit le trajet des idées.

La mise en scène soigneuse de François Parmentier met en exergue cet isolement : l’horizon, figuré par une large toile blanche, semble dévorer tout l’espace et le reste, le « D’dans », n’est que sable volcanique. À l’image de Mill (superbe Claudine Bonhommeau), personnification de l’île dans ses emportements soudains et sa beauté rustique, les personnages sont isolés, même entre eux. Les contacts sont brusques et rapides, maladroits, presque tabou.

Au cœur même de l’industrieuse Angleterre, l’isolement reste omniprésent. Là, au milieu des autres, au milieu du « D’hors », les îliens tombent malades, ils dépriment, ils veulent rentrer. À la nage s’il le faut. On les traite, on les maltraite. Ils préfèrent être seuls entre eux qu’au milieu d’une masse qui les repousse... L’écho lancinant de l’actualité résonne de plus en plus fort à mesure que la pièce progresse vers son dénouement. Derrière le drame familial, un questionnement sur ce que signifie vivre en société, et plus loin encore, le constat sans amertume des travers de l’être humain : la symbiose des comédiens et de l’équipe technique délivre un message clair à travers une œuvre multiple au cœur humaniste. Plus Loin que loin, mais tellement proche de nous.


En savoir plus sur http://www.evous.fr/Plus-loin-que-loin-une-tragedie-moderne-et-efficace,1191870.html#JtJ2F6ikkSkqBQUB.99


 

Saint-Barthélemy-d'Anjou.

Je te regarde, un spectacle passionnant

Publié le 19/10/2020 à 06h00


Vu

Science-fiction ou réalité ? On pouvait se poser la question, mardi soir, au THV, pendant la pièce, Je te regarde d’Alexandra Badéa, interprétée par la compagnie nantaise les Aphoristes. Cette pièce est une succession de monologues dits par quatre personnages.

Un employé de multinationale, qui, avec son casque de réalité virtuelle, épie une subordonnée qui vit de l’autre côté de la planète et dont il devient fou amoureux.

Une jeune cadre dynamique et jalouse, qui suit son mari à l’aide de multiples applications sur son téléphone et son ordinateur. Un agent de sécurité d’aéroport à qui on impose un système de surveillance numérique qui lui ôte tout pouvoir décisionnaire. Et une gardienne de prison qui guette les faits et gestes d’un prisonnier dont elle devient amoureuse, et qui partage sa vie sur les réseaux sociaux.


Chacun se raconte derrière son écran de plexiglas, (scénographie inventée avant le Covid) dans un décor où la transparence prime. Une pièce qui alerte sur les dangers de notre civilisation, où l’humain serait dépossédé de lui-même ? Sans doute, mais pas que, et tout sauf didactique.

Avec intelligence, l’auteure déploie les destins séparés de ses personnages en proie à leurs fantasmes, pour les faire se rejoindre, à la fin, dans un événement dramatique inattendu mais plausible. La mise en scène de François Parmentier éclaire le texte passionnant, solidement documenté, qui arrive à la fois à créer du suspense, être drôle, et faire réfléchir. Les acteurs sont à l’unisson. Le public, conquis, a longuement applaudi.